Alors que le printemps se poursuivait, la nature s’épanouissait, aidée en cela par quelques pluies et, en de rares occasions, des jours extrêmement chauds et baignés de soleil. Durant ces exceptions météorologiques, la chaleur augmentait de façon drastique, menant à une surpopulation des points d’eau par les animaux et parfois quelques créatures intelligentes. Aujourd’hui était un de ces jours au temps exceptionnellement étouffant. Neidr, dragon rouge en vadrouille, avait déjà exploré quelques puits, gardés jalousement par leurs propriétaires ou ceux qui se revendiquaient comme tels. Une bande de mercenaires démons, une patrouille de chevaliers humains, et un contingent d’Elfes des forêts. Ces derniers avaient cependant accepté de laisser le noble drake se désaltérer, au contraire des deux autres groupes. Quel manque de savoir-vivre…

Arrivé sur la plage, il n’en crut pas vraiment ses yeux. Jamais il ne s’était aventuré jusqu’à la mer, et jamais il n’avait pu observer son immense tapis d’azur s’étendant à perte de vue. Les yeux bleus de Neidr étaient tel l’océan, bien que plus calmes. Les vagues se rabattaient sur les plages de sable fin, dans un bruit d’eau constant. Des mouettes riaient dans le ciel, ajoutant leur note à la mélodie naturelle. Un grand sourire s’étira sur le visage du dragon ; encore de nouveaux endroits à découvrir ! Les siens le regarderaient d’un tout autre œil une fois revenu de ses voyages. Peut-être ne le croiraient-ils pas lorsqu’il dirait qu’il a vu un lac infini, agité et majestueux ? Pourtant, devant lui, la vérité était là, comme si le ciel était tombé face à lui.

Neidr enfonça ses pattes dans le sable. La sensation était curieuse, mais vraiment pas désagréable. Amusé, il se mit à retourner le sable de la plage, en poussant des petits grognements. Son petit jeu dura quelques minutes, avant qu’il ne se rende compte que la belle plage était désormais sens dessus dessous. Un peu gêné, le dragon rouge se dirigea vers une plage plus lointaine, se posant délicatement sur la silice couleur beige. Regardant le ciel, il vit que le soleil était à son zénith. Cela expliquait donc qu’il avait trop chaud. Evidemment, nul drake ne pouvait transpirer comme les autres races intelligentes d’Hypolaïs, et il décida de creuser un trou dans le sable chaud, à la recherche de la fraîcheur des couches inférieures. Une fois le dos dans le trou, bien installé, il recouvrit son thorax de sable, désireux de se maintenir complètement au frais. Bien mis et à l’abri de la chaleur, Neidr soupira d’aise et voulut fermer les yeux pour profiter de son oisiveté habituelle…

Pourtant, il vit une silhouette s’avancer vers lui. Un autre dragon apparemment. Ses yeux bleus, peu habitués à fixer quelque chose en direction du soleil, se plissèrent. Il lâcha juste un petit :

« Hum… Salutations ? »

Vnyx se pose doucement dans le sable doux, laissant la chaleur glisser doucement entre ses griffes. Elle était désormais partie de son clan depuis plusieurs mois et se sentit désormais plus à l'aise avec l'inconnu de ce monde. La dragonne avança doucement, profitant du moment et regardant avidement le paysage autour d'elle. Les yeux au ciel, elle sursauta lorsque sa patte se déposa dans l'eau. Elle ne s'y attendait pas et recula lentement, les yeux rivés sur l'horizon.

Ce qui s'étendait devant elle lui coupa le souffle... Un étendue d'eau gigantesque s'étalait jusqu'à l'horizon lointain. Que d'eau, de vagues et de bruissements humides. Fascinant, magique, plus beau que ce qu'on lui avait décrit. Ébahie, la dragonne sentit la force abandonner ses pattes et elle s'écrasa sur le sol, la tête toujours droite et rivée vers l'océan. Jamais elle n'avait cru voir tel paysage de toute sa vie et elle eut envie de pleurer tant la vue des vagues l'apaisait. Elle s'allongea un peu plus confortablement, blottie dans le sable chaud et s'endormit en regardant toujours vers l'infinité aquatique.

Un vacarme éloigné la tira de ses rêvasseries. Vnyx se leva et s'étira, jetant un dernier coup d'oeil à l'océan avant de se diriger vers l'origine de ce bruit. La dragonne vit une silhouette visiblement draconique qui sautait dans tous les sens, tel un jeune dragonnet qui découvre le monde. À cette pensée, elle revit une image des jeunes dont elle s'occupait avant et sourit. Lorsque la silhouette se calma et se coucha, la Verte s'avança vers l'inconnu, désireuse de rencontrer tel coeur d'enfant. À quelques mètres, il s'adressa à elle :

« Hum… Salutations ? »

Sans trop hésiter, elle continua d'avancer jusqu'à ce qu'elle soit à plus ou moins 5 mètres du dragon ne put s'empêcher de remarquer qu'il était plutôt charmant avec ses écailles rouges et ses yeux bleus comme l'horizon. Elle lui répondit d'un ton enjoué et affichant un sourire:

"Bonjour, je suis Vnyx, des montagnes rocheuses. Je t'ai aperçu en train de jouer tout à l'heure, il semblerait que je ne sois pas la seule à découvrir les grand horizons d'eau!"

Les yeux de Neidr s’habituèrent un peu plus à la luminosité, le laissant entrevoir à qui il avait adressé ses salutations. C’était une dragonne, dont la teinte d’écailles tirait sur le vert sombre. Il vit tout d’abord sa tête parcourue de rainures rouges, au niveau de ses yeux d’un blanc immaculé. Il crut tout d’abord qu’elle était aveugle, mais se rappela qu’elle se serait approché plus près que cela si tel avait été le cas. Le souvenir d’Isteria, la jeune dracène frappée de cécité, remonta dans la mémoire du dragon. Celle-ci, en revanche, semblait plus âgée que l’adolescente. Un corps fin et élancé, qui contrastait avec sa tête plus robuste. Elle se présenta comme étant Vnyx, habitante des Montagnes rocheuses. Avec un peu de chance, leurs clans se connaissaient ! Même si les Griffe-Montagne n’entretenaient que peu de relations avec l’extérieur, profitant simplement de leur vallée bien isolée et de leurs ressources abondantes.

Voir une compatriote en ces lieux lui mit du baume au cœur, et il sourit à la nouvelle arrivante. Afin d’être plus présentable devant elle, Neidr sortit de son trou dans le sable, envoyant quelques pelletées de silices un peu partout. Une fois hors de son alcôve, il se secoua un peu, essayant de se débarrasser du sable qui recouvrait ses écailles vermeilles. Prévenant, il tenta d’éviter d’en mettre plein sur Vnyx. Ce n’était pas convenable, après tout. Et, une fois débarrassé des petits grains de sable, il se tourna vers la dracène et lui dit mentalement :

« Salut à toi Vnyx, je m’appelle Neidr ! Et, oui, je trouve cet endroit magnifique. Je ne l’avais jamais vu auparavant, et le doyen Skarkald ne m’avait jamais parlé de tels lieux. Je n’arrive même pas à voir la fin de cet immense lac ! »

Neidr continua de sourire, tout en étudiant l’attitude de sa nouvelle connaissance. Elle avait l’air gentille, et le ton de sa voix était plutôt enjoué pour une étrangère. Ils deviendraient bien vite amis, connaissant Neidr et sa bonne humeur. Il posa à nouveau ses griffes sur le sol et laboura machinalement le sable sur lequel il était posé. Un grand enfant comme lui pouvait jouer durant des heures avec tout et n’importe quoi, et quelques grains sur une plage ne faisaient pas exceptions. Il s’assit, et s’adressa à nouveau à Vnyx :

« Tu voyages souvent ? Par cette chaleur, c’est tout de même éprouvant. J’ai eu un mal fou à trouver de l’eau par ce temps. Et je ne te conseille pas celle du grand lac, elle est dégoûtante. Je parle par expérience ! »

Le drake rouge ricana un peu. La tête qu’il avait faite lorsqu’il avait essayé d’avaler de l’eau de mer aurait été hilarante à voir si quelqu’un avait été là. Il passa d’une position assise à couché sur le ventre. Maintenant que les présentations étaient faites, après tout, il pouvait se laisser aller à sa flemmardise et s’étaler sur le sable fin et chaud.